Vedette

déjeuner (n. m.)

Définition

Repas du matin, premier repas de la journée; mets composant ce repas.
[État des données: avancé]
Citation(s) Référence(s)
Las de suer et de se retourner, Pinguet venait de se lever et, en pantalon lâche de flanelle, ses bretelles en serpent autour des reins, il tentait de raser sa dure barbe grisonnante, tout en surveillant le lait qui chauffait pour le déjeuner de Madame: deux corvées en même temps, ce qui est beaucoup, même pour un inspecteur de la Police Mobile.
1971, P. Lebois, La Flache aux écureuils, p. 156.
[littérature]
Ma mère se levait avec le jour d'été et bien avant celui d'hiver. Elle commençait par mettre soigneusement sa coiffe, opération qu'elle avait appris à réussir dès l'âge de six ans, faisait la pâtée du cochon, trayait la vache, préparait le déjeuner des petits, les faisait se lever, les envoyait à l'école [...].
1975, P.-J. Hélias, Le Cheval d'orgueil, p. 31.
[littérature]
Du pain grillé, du beurre, du miel et même de la confiture font de ces déjeuners une petite fête, prémices d'une journée trop courte.
1976, R.-A. Rey, La Passerelle, p. 164.
[littérature]
Ce n'est pas votre mari qui vous monterait votre déjeuner au lit comme votre mère, ma petite fille...
1983, H. Pollès, Sophie de Tréguier, p. 131.
[littérature]
On se dirigeait vers la «maison», la pièce commune, où attendait le déjeuner (à la chandelle souvent): rillettes, fromages de bique, beurre salé, cidre, café et, bien entendu, la goutte.
1987, G. Chevereau,Une enfance à la campagne, 1988, p. 99.
[littérature]
Laissant les hommes, chacun à son poste de travail, elle entre dans sa cuisine. Le déjeuner est fini. Maintenant, elle doit préparer le dîner. Midi sera vite arrivé.
1991, Ch. Briand, La Batteuse, p. 33.
[littérature]
Chaque soir, été comme hiver, ma mère fait la cruchade; cruchade de maïs de l'automne au printemps et cruchade de mil (dit millet) pendant la saison chaude. / Elle est de tous les repas, la cruchade: du dîner, du souper et bien souvent aussi du déjeuner de neuf heures. / On ménage le fricot, mais on ne lésine pas sur la cruchade, ça bourre et ça économise le pain.
1989, G. Laporte-Castède, Pain de seigle et vin de grives, p. 48.
[littérature]
Mais à cette instruction-là, il mit le comble un peu après, un matin que nous étions seuls tous les deux dans la cuisine. Tout en préparant les «rôties» [=tartines de pain grillées] pour le déjeuner, il me dictait une lettre.
1980, L. Guilloux, L'Herbe d'oubli, 1984 [av. 1980], p. 249.
[littérature]
[...] je trouvais cependant mon déjeuner tout prêt, dans la grand'salle: le pain tendre, le sucrier de verre, et les petits toupins du lait et du café , qui cuisaient côte à côte, sur la braise de la cheminée recouverte de cendres tièdes.
1945, H. Bosco, Le Mas Théotime, p. 68.
[littérature]
Lorsque nous arrivions chez mon père, la table était mise pour ce que tout Provençal modeste appelle le «déjeuner».
1981, M. Stèque, La Tour de Siagne, p. 147.
[littérature]
Comme dans tout le Nord, le déjeuner se prend le matin, le dîner à midi, le souper le soir.
1987, D. Poulet, Au contact du picard et du flamand. Parlers du Calaisis et de l'Audomarois, p. 151.
[études scientifiques]
Il n'y a pas longtemps, l'on commençait la journée par le «déjeuner» matinal, on «dînait» à midi et on «soupait» le soir avec le plus souvent une soupe, constituant l'essentiel de ce dernier repas. Il n'était pas rare que d'un trait de vin on rosisse le reste de bouillon au fond de l'assiette, c'était le «chabrot» particulièrement recommandé avec la soupe aux choux, la garbure ou le bouillon de pot-au-feu.
1991, F. Cousteaux, «L'oie "de la tête au cul"», dans Toulouse, p.136.
[littérature]

Commentaires

La conscience du caractère non standard de l'emploi a pu entraîner chez certains auteurs la création de syntagmes dans lesquels l'heure du repas est précisée, ainsi déjeuner de huit heures dans l'ex. suivant: «Le pépé avait toujours préparé une table bien garnie. La charcutaille, les tomates en salade, le sarassou [=fromage maigre obtenu par la cuisson du babeurre] qui fait les hommes forts, le chevreton et la fourme formaient la matière solide du déjeuner de huit heures, en attendant le dîner de midi un quart si Victor ne s'attardait pas au concours de belote chez Catouès où la Marthe servait vin rouge, anis et quinquina» (R. Sabatier, Les Noisettes sauvages, 1983 [1974], p. 140.

Commentaire géolinguistique

Nord, Pas-de-Calais, Somme, Aisne, Oise. Seine-Maritime, Eure, Calvados, Orne, Manche. Côtes-d'Armor, Morbihan, Finistère, Sarthe, Maine-et-Loire. Eure-et-Loir, Loiret. Meuse, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Vosges, Haut-Jura. Bourgogne : Côte-d'Or. Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire, Isère, Drôme, Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence, Alpes-Maritimes, Var, Bouches-du-Rhône, Vaucluse. Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales, Ariège, Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne, Lot, Aveyron, Lozère, Ardèche. Haute-Loire (Saugues), Cantal, Puy-de-Dôme, Creuse, Corrèze, Haute-Vienne. Aquitaine : Dordogne, Lot-et-Garonne, Gers, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques, Landes, Gironde.

Répartition

  • Nord
  • Normandie
  • Grand Ouest
  • Île-de-France/Centre
  • Lorraine/Alsace/Franche-Comté
  • Lyonnais/Provence
  • Languedoc
  • Auvergne/Limousin

Origine

Maintien d'un sens français ancien

Historique

Archaïsme; maintien dans plusieurs normes régionales d'un emploi qui fut général en français jusqu'à la fin du 18e s. C'est à cette époque que l'heure du second repas de la journée (v. dîner) commença à connaître, à Paris, un déplacement de plus en plus accentué vers la fin de l'après-midi et le début de la soirée; par ricochet, le premier repas de la journée s'est dédoublé, donnant lieu à un repas très léger pris au lever, et à un autre beaucoup plus substantiel pris en fin de matinée, ce qui entraîna l'apparition de nouvelles lexies complexes : cf. d'une part petit déjeuner (depuis 1816, Maine de Biran; cf. encore Las Cases 1823, Balzac 1843 et 1846, Flaubert 1845, Daudet 1872, Goncourt 1890, etc.), déjeuner du matin (1816-1963, Maine de Biran; une vingtaine d'attestations dans Frantext), premier déjeuner (1830-1938, Stendhal; une vingtaine d'attestations dans Frantext), premier déjeuner du matin (P. Loti, 1886; MenonLecotté, 1954), petit déjeuner du matin (1900-1945, quatre attestations dans Frantext); cf. d'autre part déjeuner dînatoire (SchneiderRézDoubs 1786; Féraud 1787; ca 1800 AnonymeHippolyteF; 1803, Boiste et 1808, Grimod de La Reynière, dans DDL 34; 1810, Molard, TLF; LeGonidecBret 1819; JBLGironde 1823; Lar 1870), déjeuner à la fourchette (1803, v. Höfler Z 84, 306; 1819, v. Grafström RLiR 55, 140; 1825, Brillat-Savarin; 1853, Stendhal; Littré 1863; Lar 1870), second déjeuner (1813-1923, B. Constant; treize attestations dans Frantext), grand déjeuner (1821-1964, Michelet,; une vingtaine d'attestations dans Frantext), déjeuner de midi (1834-1989, Balzac; quatorze attestations dans Frantext). Cette évolution de la pratique sociale fut à l'origine un phénomène strictement parisien, qui n'a été suivi, avec quelque retard, que dans les grandes villes françaises; à la campagne et en dehors du pays, l'ancien microsystème lexical déjeuner / dîner / souper s'est maintenu avec une certaine vitalité, même si le nouveau système petit déjeuner / déjeuner / dîner – qui dans plusieurs régions s'y est superposé – est devenu le seul emploi non marqué du français de référence et fait partie de la compétence à tout le moins passive de nombreux francophones. Il est difficile d'évaluer avec précision l'usage réel de l'ancienne terminologie dans le français des régions de France. Les enquêtes DRF 1994-96 ont permis de relever des pourcentages de connaissance supérieurs à 90 % dans le Nord et la Picardie, la Basse-Normandie, la grande région Rhône-Alpes, les Alpes-Maritimes et le Midi pyrénéen; en Provence, près de 70 % des témoins ont aussi déclaré connaître cet emploi. On ne sait malheureusement pas toujours si les réponses des enquêtés reflètent leur compétence active ou seulement passive. En outre, le fait que le verbe, contrairement au substantif, ne soit pas véritablement marqué dans certains contextes à interprétation univoque (quoi qu'en disent certains dictionnaires), rend encore plus ardue l'interprétation de ces résultats. Voir dans le DRF, p. 352a, la liste des sources de français régional où nous avons relevé le mot, parfois accompagné de marques d'usage ou de brefs commentaires. L'ensemble de ces données (enquêtes, glossaires, attestations littéraires [v. ci-dessus]) permet de tracer une aire septentrionale englobant la Normandie (et quelques points isolés dans l'Ouest), la Picardie, le Nord (en contiguïté avec la Wallonie) et la Lorraine, ainsi qu'une très vaste aire méridionale allant du Jura et de la Savoie à l'est (en contiguïté avec la Suisse romande) jusqu'à l'Aquitaine à l'ouest, en passant par le Lyonnais, la Provence, plusieurs points sud et nord-languedociens et la région Midi-Pyrénées. Parmi les grandes villes de France, seuls Nancy et Lyon pratiquent encore sporadiquement l'ancien système. Les sources à notre disposition pour les villes de Marseille et Bordeaux ne mentionnent pas cet usage. Il est permis de supposer que, d'une manière générale, l'usage rural est resté assez fidèle à l'ancienne terminologie, à tout le moins en dehors de la grande région parisienne, même dans les zones pour lesquelles on ne dispose d'aucune donnée positive sur le sujet; dans les villes, en revanche, l'usage parisien a été «parachuté» avec succès presque partout en s'étendant sur les zones environnantes; il s'est en outre imposé partout en France dans la langue de l'hôtellerie et de la restauration, ce qui ne manque pas d'exercer une forte pression sur l'emploi archaïque. On notera que déjeuner dans le sens qui nous intéresse ici est tout à fait courant en Belgique (PohlBelg 1950; MassionBelg 1987; Belg 1994; DelcourtBelg 1998; LeboucBelg 1998; d'où JouannetRwanda 1984), en Suisse (Pierreh; GPSR 5, 223a-225a; Lengert 1994; DSR 1997) et en Amérique du Nord (MassignonAcad 1962; ALEC, q. 178; DaigleCajun 1984; DFPlus 1988; DQA 1992). La lexicographie française ne rend guère justice à l'extension géographique du mot; la Suisse et le Canada ne sont mentionnés que depuis peu, et parmi les régions de France seul le Nord est – parfois – pris en compte : GLLF 1972 «autref.»; TLF «vx, région.»; Rob 1985 «vieilli ou région. (Nord, Belgique)»; PLI depuis 1989 «Belgique, Suisse»; NPR 1993-2000 «vieilli ou région. (Nord, Belgique, Canada)»; Lar 2000 «Belgique, Suisse, Québec». DRF; FEW 3, 95a; TLF.

Étymon du FEW

disjejunare

Français de référence

Équivalent(s)
petit-déjeuner

Francophonie

Commentaire(s) intrazone
Également connu en Belgique et en Suisse.
Renvoi(s) aux autres zones francophones
Également connu en Acadie, en Louisiane, au Québec et au Burundi.
FR: 11935