Vedette

Sauvage (n. m. ou n. f.)
[sɔvaʒ]
De nos jours, le mot prend la majuscule à l'initiale quand il est employé comme substantif désignant une personne (un Amérindien), mais l'usage a fluctué constamment depuis le XVIIe s., compte tenu notamment de la valeur générique que peut prendre le mot (on remarque souvent, à cet égard, que sauvage s'écrit avec la minuscule à l'initiale alors qu'Indien prend la majuscule dans les contextes où les deux appellations se côtoient). – Sauvage s'emploie surtout au masculin; au féminin, on rencontre plutôt Sauvagesse.

Définition

Vieux Nom servant à désigner toute personne appartenant à l'une ou l'autre des communautés d'autochtones d'Amérique, considérées comme des groupes humains non civilisés. – (Spécial.). Vieilli ou hist. Autre nom donné à un Amérindien, en partic. à un Amérindien de l'Amérique du Nord.
Le pays, les terres des Sauvages. Un Sauvage, une Sauvage. Les Sauvages de l'Amérique, du Canada. Les Sauvages de Caughnawaga, de Lorette. Un Sauvage Abénaquis, un Sauvage Algonquin. Un Sauvage de la nation des Montagnais. Hist. Les Sauvages de la Nouvelle-France. Les attaques, les incursions des Sauvages contre les établissements français. Faire le commerce, la traite (des fourrures) avec les Sauvages. L'évangélisation, la conversion des Sauvages par les missionnaires. Péjor. (Comme terme d'injure raciste). Les Sauvages, les maudits Sauvages. (Dans la langue juridique canadienne). Département des Affaires des Sauvages. (Dans des titres administratifs en rapport avec l'Acte des Sauvages). Agent des Sauvages, commissaire des Sauvages, surintendant général des Affaires des Sauvages.
[État des données: avancé]

Variante(s) graphique(s)

sauvaige, saulvaige (au XVIe s.)
Citation(s) Référence(s)
Et [...] fusmes en icelluy hable [havre de Gaspé] et ryviere jusques au XXVe jour du dit moys sans en pouvoir sortyr durant lequel temps nous vint grand nombre de sauvaiges qui estoient venuz en ladite riviere pour pescher des masquereaulx desquelz il y a grant habondance. Et estoient tant homes femmes que enffans plus de deux cens personnes qui avoyent envyron quarente barques lesquelz apres avoyr ung peu (pratiqué) à terre avecques eulx venoyent franchement avec leurs barques à bord de noz navyres. Nous leur donnasmes des cousteaulx pathenostres [« chapelets»] de voyrre [= verre] paignes et aultres besongnes [«objets»] de peu de valleur de quoy faisoient plusieurs signes de joyes levant les mains au ciel en chantant et dansant dedans leursdites barques.
1536 env., J. Cartier, dans M. Bideaux (éd.), Relations, 1986, p. 114.
[archives et textes anciens]
C'est icy [à Tadoussac] que j'ay veu des sauvages pour la première fois. [...] Il me sembloit, les voiant entrer dans la chambre de nostre capitaine, où j'estois pour lors, que je voiois ces masques qui courrent à caresme prenant [«personnes déguisées qui font la fête à l'occasion du mardi gras»]. Ce n'est pas qu'ils n'aient le corps très bien fait et les membres fort bien proportionnés, mais ils se peignent de diverses couleurs et mettent leur beauté justement où nous logeons en France la laideur et la déformité. Les uns avoient le ned bleu, les sourcils et une partie des joues toutes noires, le reste du visage tou[t] rouge; et ces couleurs sont vives et luisantes comme du vernix. Les autres avoient des raies bleues, noires et rouges tirées des oreilles à la bouche. Quelques-uns estoient noires seulement depuis les sourcils jusques à la lèvre d'en hault.
1632, P. Le Jeune, dans L. Campeau (éd.), Monumenta Novæ Franciæ, t. 2, 1979, p. 285.
[archives et textes anciens]
[...] on pris quelques petites esquimodes que l'on a apprivoisées, j'en ay vû mourir dans notre hopital, c'étoit des filles fort gentilles, blanches, propres, bien chrétiennes et qui ne conservoient rien de sauvage, elles parloient bon françois, et quoy qu'elles se plûssent dans maisons ou elles demeuroient, elles, et tous les autres sauvages ne vivent pas longtemps quand ils sont chez les françois [..].
1751, Mère Marie-Andrée Duplessis de Sainte-Hélène, dans Nova Francia, vol. 4, no 1, 1929, p. 38 (lettre).
[archives et textes anciens]
Tout le monde connaissait à Québec, il y a quelque quarante ans, Ohiarek8en, sauvage de la tribu des Hurons surnommé le Grand Louis. C'était un homme d'une haute stature et marchant toujours les épaules effacées de l'air superbe d'un empereur romain. Ce philosophe naturel, sans avoir étudié dans nos colléges, n'en était pas moins un logicien redoutable.
1866, Ph. Aubert de Gaspé, «Le village indien de la Jeune Lorette», dans Le Foyer canadien, t. 4, p. 533.
[littérature]
Avant d'aller plus loin, disons qu'à Pierreville, il y deux villages : celui des Blancs et celui des Abénakis (Odanak). Je vais le dire dans les termes de ma jeunesse : c'était le village des sauvages. Le curé de ce village était un Indien : l'abbé de Gonzague. Une des cousines de mon père s'était mariée avec un de ces sauvages : Samuel Satacousse. Tous du bon monde, mais nous, les enfants, n'aimions autant pas les rencontrer! Quand les enfants venaient au monde, ils étaient apportés par les sauvages. Ce n'était pas rassurant!
1980, Fl. Morvan Maher, Florentine raconte..., p. 12 (pour l'allusion au mythe relatif aux nouveau-nés, v. les sens 19-24).
[littérature]
Quatre ans après «l'été indien», «les sauvages» ont remplacé «les newfies» dans l'imaginaire «des frogs» qui se défoulent sur les tribunes téléphoniques. Installée à proximité des antennes paraboliques des grands réseaux d'information, une petite minorité de Warriors a investi la nation mohawk qui compte elle-même à peine 20% des autochtones installés en territoire et est parvenue à répandre le mythe réducteur de l'Indien francophobe, profiteur, intraitable et mafieux.
1994, L. Soumis, dans Le Devoir, 1er avril, p. A1.
[presse, journaux, périodiques]

Commentaires

1. Dans la langue générale, le mot a été courant jusque dans les années 1950 ou 1960, époque où il a commencé à être perçu comme péjoratif par les Amérindiens et où il a été graduellement remplacé par Indien (qui demeure courant), puis par Amérindien (qui est surtout utilisé dans la langue officielle ou spécialisée). 2. Le mot figure dans de nombreux noms de lieux du Québec (v. RTQ 1987).

Synonyme(s)

Origine

Innovation sémantique français de référence

Historique

À l'époque où ils naviguent sur les côtes de l'Amérique (XVIe s.), les Français appliquent le nom de Sauvage à tout autochtone appartenant à l'un ou l'autre des groupes humains qu'ils jugent primitifs sur les plans matériel et culturel. Reflet de préjugés qui resteront longtemps ancrés dans les mentalités, ce nom va s'imposer de façon générale chez tous les Français de la Nouvelle-France et leurs descendants; il ne sera même jamais délaissé par ceux qui, à la suite de relations étroites avec les autochtones, reconnaîtront des aspects positifs à leurs cultures et adopteront un jugement plus nuancé, voire favorable, à leur égard. C'est le cas de l'avocat M. Lescarbot, qui, au début du XVIIe s., utilise régulièrement l'appellation Sauvage mais qui soutient néanmoins qu'elle ne convient pas pour nommer les autochtones qu'il a rencontrés lors de son séjour en Acadie : «Et neantmoins je ne veux telleme[n]t deprimer la co[n]dition des peuples que nous avons à representer, que je n'avouë qu'il y a beaucoup de choses bonnes en eux. Car pour dire brievement, ils ont de la valeur, fidelité, liberalité, & humanité, & leur est l'hospitalité si naturele & reco[m]mandable, qu'ilz reçoivent avec eux tout homme qui ne leur est ennemi. Ilz ne sont point niais comme plusieurs de deça [« de France»], ilz parlent avec beaucoup de jugement & de raison [...]. De sorte que si nous les appellons communement sauvages, c'est par un mot abusif, & qu'ilz ne merite[n]t pas, n'étans rien moins que cela [...].» (v. M. Lescarbot, Histoire de la Nouvelle France, 3e éd., 1617, p. 32-33). Sauvage est sans doute senti comme abusif du fait qu'il implique un jugement de valeur global, sans nuances : le mot véhicule un contenu sémantique négatif (évoquant un état de civilisation rudimentaire) et peut prendre des valeurs fortement dépréciatives dans des contextes où ceux à qui on l'applique sont présentés comme des êtres cruels – ils infligent d'atroces tortures à leurs ennemis – ou hostiles – ils attaquent les établissements français. Ces connotations péjoratives paraissent s'estomper dans les contextes où les relations avec les autochtones sont présentées comme bonnes (du point de vue des Français). C'est donc sans doute avec une valeur péjorative en puissance, parfois actualisée, parfois non, que Sauvage a été utilisé sous le Régime français, et bien au-delà. Vers le milieu du XIXe s., à l'époque où le nom Indien fait son entrée chez les lettrés canadiens-français, Sauvage ne paraît pas connoté dans la langue générale. C'est du moins ce que donne à entendre ce passage de J.-Ch. Taché qui formule l'interrogation suivante : « Pourquoi nommer les aborigènes du Canada indiens et indiennes, ce qui n'est pas cela du tout, au lieu de les appeler sauvages et sauvagesses, termes traditionnels et consacrés ?» (tiré de « Porcupine Quills», texte écrit entre 1845 et 1855 et reproduit dans Les Annales, Ottawa, no 3, 1923, p. 3; ce point de vue est repris par un journaliste de La Patrie, Montréal, 12 déc. 1884, p. 1, à propos de l'appellation bourgade indienne qui lui paraît fautive à la place de bourgade sauvage ou bourgade de sauvages). Dans le même ordre d'idées, le Français Henri de Lamothe observe, au cours d'un voyage au Canada dans les années 1870, que le mot est neutre dans la langue administrative : «Les premiers colons français de l'Amérique du Nord disaient ‘les sauvages', et aujourd'hui encore, dans tous les documents officiels canadiens écrits en langue française, c'est le mot ‘sauvage' qui est exclusivement employé comme équivalent de l'anglais indian. Au reste, cette appellation n'est aucunement prise en mauvaise part non plus que le féminin ‘sauvagesse' [ ... ].» (v. Cinq mois chez les Français d'Amérique, 1879, p. 65). Néanmoins, dès la seconde moitié du XIXe s., les lettrés (surtout des spécialistes) commencent à délaisser Sauvage au profit d'Indien, sans doute sous l'influence du français de France, lui-même influencé par l'anglais (voir indien, sous Étymologie/Historique); le recul de Sauvage qui s'amorce alors sera accompagné d'une résurgence progressive des connotations négatives qui mettront du temps à se laisser percevoir par les locuteurs ordinaires. En 1927, Sauvage est finalement remplacé par Indien dans la langue juridique canadienne, mais il demeurera courant dans la langue générale jusque dans les années 1950 ou 1960. À partir de cette époque, Indien le déloge rapidement, en bonne partie sous l'influence de l'école et des jeunes générations; la valeur péjorative de l'appellation Sauvage, qui est dénoncée par des anthropologues, est perçue plus nettement non seulement par la population en général, mais aussi par les autochtones eux-mêmes : «Les aborigènes du Canada n'aiment pas qu'on les appelle sauvages, prétendant, avec raison, qu'ils ne sont pas sauvages. C'est pourquoi on les nomme officiellement Indiens.» (v. P. Daviault, Langage et traduction, 1963, p. 229; v. aussi J. Rousseau, dans Les Cahiers des Dix, no 20, 1955, p. 197). Au cours des années 1960, on assiste à un changement des rapports avec les autochtones, qui affirment leur identité et revendiquent leurs droits. Il s'ensuit une plus grande circonspection dans l'utilisation des noms qu'on leur appliquait jusqu'alors. Sauvage devient alors une appellation historique et ne survit, dans son emploi neutre, que chez les gens âgés. – Depuis 1536 environ (sauvaige; sous la forme Sauvage, depuis 1538, dans M. Bideaux (éd.), Relations, 1986, p. 274, n. 83 : à Jacques Cartier [ ... ], 112 livres 10 sous sur ce qui peut lui ètre dû tant de ses salaires et vacations que de la nourriture d'un certain nombre de Sauvages qui sont à sa charge depuis deux ans). Cet emploi découle du sens de «qui vit à l'écart des formes de civilisation dites évoluées (en parlant d'humains, de peuples) », attesté en français depuis le XIIe s. (v. TLF; le substantif n'est attesté en France que depuis 1596, mais on le relève une première fois au XIIe s. sous la forme salvace, v. GodCompl, s.v. salvage). Les dictionnaires de France associent le mot sauvage aux autochtones d'Amérique depuis la fin du XVIIe s. et, jusqu'au début du XXe s., presque tous les lexicographes présentent une image dépréciative de ces autochtones, reprenant en tout ou en partie la définition consignée dans le dictionnaire de Furetière en 1690 : «se dit aussi des hommes errans, qui sont sans habitations reglées, sans Religion, sans Loix, & sans Police. Presque toute l'Amerique s'est trouvée peuplée de Sauvages. La plus-part des Sauvages sont Antropophages. Les Sauvages vont nuds, & sont velus, couverts de poil.» (v. aussi Académie 1694-1878, Trévoux 1704-1771, Laveaux 1820, Raymond 1835, Besch 1847-1892, Dupiney 1864, Larousse 1866-1897). Cette définition fait ressortir des éléments («velus, couverts de poil») qui trouvent leur origine dans l'imaginaire médiéval, lequel se représentait les hommes vivant en marge du monde civilisé comme mi-animaux, mi-humains (pour une étude approfondie de la représentation du Sauvage dans les relations de la Nouvelle-France, v. notamment Fr.-M. Gagnon, Ces hommes dits sauvages, 1984; v. aussi Larousse 1982, s.v. sauvage, rubrique ‘Encycl.'). Elle ne s'appuie pas sur l'expérience réelle des Français en Nouvelle-France qui employaient le nom de Sauvage tant en parlant du chasseur-cueilleur (vivant en nomade dans les forêts et les plaines) que de l'horticulteur (vivant dans des villages permanents), tant en parlant de l'allié (dont l'Algonquin et le Huron) que de l'ennemi (dont l'Iroquois). Et surtout, elle ne rend pas compte des jugements plus nuancés que les Français, même ceux qui ne leur étaient pas favorables, avaient appris à porter sur les autochtones.

Français de référence

Réalité propre
Emploi qui réfère à une réalité propre au pays ou à la région de la variété de français, ou qui en provient.
QU: 2188