Vedette

annedda (n.)

Définition

Hist. Nom donné à un conifère nord-américain auquel Jacques Cartier a attribué la guérison miraculeuse de son équipage atteint du scorbut; décoction faite à partir des rameaux et de l'écorce de ce conifère.
[État des données: avancé]

Variante(s) graphique(s)

Aussi écrit aneda, anedda, anneda et hannedda; (rare) ameda, amedda.
Citation(s) Référence(s)
[...] Domagaya respondict [à Cartier] que avecq le juz et le marcq des feulhes d'un arbre il s'estoit guery et que c'estoit le singulier remedde pour maladie. [...] Lors ledit Domagaya envoya deux femmes avecq le cappitaine pour en querir lesquelz en apporterent neuf ou dix rameaulx et nous monstrerent comment il falloit piller l'escorce et les feulhes dudict boys et meptre tout à bouillir en eaue puis en boyre de deux jours l'un et meptre le marcq sus les jambes enfleez et malades et que de toutes maladies ledict arbre guerissoit. Ilz appellent ledit arbre en leur langaige annedda.
1538 env., J. Cartier, dans M. Bideaux (éd.), Relations, 1986, p. 173.
[archives et textes anciens]
(Pour la variante ameda). Aussi en ce païs Canadien apres que les Françoys y eurent enduré l'assault de ceste pestilence, ilz trouvere[n]t aussi les moyens d'y remedier voyans que les sauvages s'aydoyent de la decoction d'un arbre que ilz appellent en leur langue Amedà [sic], avec laquelle ilz sentirent plus d'effect pour leur santé, que si tous les medecins de Mont-pelier y eussent dresse le bastiment de leurs receptes.
1570, Fr. de Belle-Forest Comingeois, L'histoire universelle du monde, p. 261.
[archives et textes anciens]
Nous fismes ce jour quelque quatre lieux, & passames par une baye où il y a quantité d'isles; & voit on d'icelle de grandes montaignes à l'ouest, où est la demeure d'un Capitaine sauvage appelé Aneda [...]. Je me parsuaday par ce nom que c'estoit un de sa race qui avoit trouvé l'herbe appelée Aneda, que Jacques Quartier à dict avoir tant de puissance contre la maladie appelee Scurbut [sic] [...] qui tourmenta ses gens aussi bien que les nostres, lors qu'ils yvernere[n]t en Canade [sic]. Les sauvages ne cognoissent point ceste herbe, ny ne sçavent que c'est, bien que ledit sauvage en porte le no[m].
1613, Les voyages du Sieur de Champlain, 1re partie, p. 65.
[archives et textes anciens]
Seuls les documents historiques contemporains de Cartier fournissent des renseignements plus précis. Tous tendent à démontrer que l'arbre de vie (Thuja occidentalis) introduit en France dans le jardin du roi, à Fontainebleau, à l'époque de Cartier, vers 1536 ou 1542, est bien l'annedda, qui a guéri du scorbut les hivernants de Cartier. Et c'est même pour cela que la plante aurait reçu le nom d'arbre de vie.
1954, J. Rousseau, «L'annedda et l'arbre de vie», dans Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 8, no 1, p. 201.
[études scientifiques]
Le centre d'interprétation actuel [du parc Cartier-Brébeuf] n'est pourtant pas sans attrait [...]. "Vous pouvez goûter à l'anneda, une tisane de cèdre blanc fabriquée par les Amérindiens : c'est ce qui avait sauvé les Malouins du scorbut", explique [...] l'hôte des lieux. Le breuvage est tout à fait buvable.
1994, Le Soleil, 4 août, p. B1.
[presse, journaux, périodiques]

Commentaires

Selon toute vraisemblance, ce conifère serait le thuya occidental (Thuja occidentalis), communément appelé cèdre (v. Encyclopédie).

Origine

Emprunt d'un lexème, d'un syntagme, d'une expression (avec son sens) amérindien

Historique

Depuis 1538 environ; mot emprunté aux Iroquoiens de Stadaconé. La variante ameda apparaît dans Brief recit (1545), seule relation de Cartier publiée de son vivant: ilz appellent ledict arbre en leur langaige Ameda (p. 38; reprise par Belle-Forest dans le passage de 1570, voir citations); elle résulte sans doute d'une mauvaise lecture de anneda ou annedda (v. J. Rousseau, «L'annedda et l'arbre de vie», dans Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 8, no 1, p. 179), que le typographe aura mal interprétée, prenant le nn du mot pour un m, ce qui est d'autant plus probable qu'il s'agissait pour lui d'un mot étranger. Cette variante du Brief recit a été utilisée par certains lettrés des XIXe et XXe s. (par ex. N.-E. Dionne, Jacques Cartier, 2e éd., 1933, p. 121).

Français de référence

Réalité propre
Emploi qui réfère à une réalité propre au pays ou à la région de la variété de français, ou qui en provient.

Données encyclopédiques

Lors de son second voyage au Canada, Jacques Cartier fut contraint de passer l'hiver à quelques lieues du village iroquoien de Stadaconé (aujourd'hui Québec). Au mois de décembre 1535, ses marins furent victimes d'une épidémie de scorbut – maladie due à l'insuffisance de vitamine C dans l'alimentation – qui entraîna la mort de vingt-cinq d'entre eux. Elle ne fut enrayée que vers le printemps, apparemment grâce à une décoction préparée à partir des rameaux et de l'écorce de l'annedda que leur avait fait connaître l'Amérindien Domagaya, guéri peu avant du même mal. Cartier ne laissa malheureusement aucune description précise de l'arbre en question, si bien que les Français débarqués en Nouvelle-France au tout début du XVIIe s. ne purent l'identifier et s'en servir pour guérir les marins atteints eux aussi de scorbut. Depuis, on a avancé le nom de plusieurs conifères pour tenter de découvrir l'identité de l'arbre à l'origine de la guérison miraculeuse – en six jours seulement – de l'équipage de Cartier. Au XVIIIe s., le père Charlevoix affirma qu'il s'agissait de l'épinette blanche, résineux auquel ses prédécesseurs avaient d'ailleurs déjà attribué des propriétés antiscorbutiques. Cette opinion fut véhiculée au cours des décennies suivantes par plusieurs historiens et botanistes du Canada français, dont Benjamin Sulte – qui croyait même que l'annedda était la bière d'épinette – et le frère Marie-Victorin. Au terme d'une étude approfondie sur l'identité de l'annedda, dans laquelle il envisageait même les aspects biochimiques, Jacques Rousseau arriva à la conclusion que seule la prise en compte des aspects historiques permettait de trancher véritablement le débat: le conifère mystérieux était le thuya occidental (Thuja occidentalis), que Cartier avait introduit dans le jardin du roi François 1er, à Fontainebleau, avant 1547, et qu'on pouvait identifier à travers les témoignages de quelques-uns de ses contemporains, dont le moine André Thévet (1558) et le botaniste Pierre Belon (1553). Cependant, il est fort probable que ce conifère n'ait pas été seul en cause dans le processus de guérison du scorbut, vraisemblablement déjà amorcé avant qu'on ne l'utilise comme remède. En effet, M. Bideaux a observé qu'au cours du printemps de 1536 l'équipage de Cartier avait consommé des viandes fraîches que leur apportaient les chasseurs iroquoiens de Stadaconé. Ainsi, selon lui, «on peut se demander si la lente 'opperation' [terme de Cartier] des vitamines C contenues dans les aliments vendus par les Indiens à la saison de la chasse ne s'est pas opportunément conjuguée à celle de l'annedda pour sauver l'équipage de Cartier». Cela expliquerait aussi que les marins aient été guéris en six jours seulement, ce qui étonne même en recourant à un remède efficace, compte tenu de la sévérité des symptômes de la maladie décrits par Cartier dans sa relation. – M. Bideaux (éd.), Relations, 1986, p. 398, n. 531; J. Rousseau, «L'annedda et l'arbre de vie», dans Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 8, no 1, p. 171-212; J. Mathieu, Le premier livre de plantes du Canada, 1998, p. 104-107.
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