Vedette

chasse-galerie (n. f.)
[ʃasɡalʀi]
L'orthographe chasse-galerie est bien établie depuis le XIXe s.

Définition

Vieilli (D'après une croyance populaire). Horde effrayante d'êtres surnaturels (chrétiens punis pour avoir enfreint des préceptes religieux, démons, loups-garous) qui traverse le ciel pendant la nuit dans un tumulte de bruits, de gémissements et de cris d'animaux. – (Par méton.). Bruits qu'on entend dehors la nuit et qu'on associe à cette croyance.
Des histoires de loups-garous, de feux-follets, de chasse-galerie.
[État des données: avancé]

Variante(s) graphique(s)

chasse galerie; chasse(-)gallery, chasse(-)Gallery (v. Étymologie/Historique)
Citation(s) Référence(s)
Pendant bien des années, suivant les récits populaires, des bruits étranges se sont fait entendre en ces lieux, au milieu des airs, et par les nuits sombres; c'étaient des cliquetis d'armes, des hennissements de chevaux, des coups de canon et de fusil; enfin, tout le tintamarre qui constitue une chasse-galerie dans toutes les règles.
1861, H. LaRue, «Voyage autour de l'Ile d'Orléans», dans Les Soirées canadiennes, vol. 1, p. 162.
[littérature]
– Je vous dirai donc, pour ne pas mentir, que j'ai bien entendu, deux ou trois fois pendant la nuit, des grémissements (bruits, frémissements) dans les airs au-dessus de ma tête, mais je ne puis jurer que ce fut la chasse-galerie [...]. J'entends tout à coup un frémissement au-dessus de ma tête; je crus d'abord que c'était un jibou (hibou), mais ça haltait (soufflait) comme un petit animal très-fatigué. C'est toujours drôle, que je me dis, que les oiseaux du nord haltent comme les bêtes à quatre pattes. Je fus bien vite tiré de mon embarras, quand j'entendis des bruits de chaînes, et des chiens japper comme des enragés, et puis une voix d'homme qui criait: pille! pille! chouquece! chouquece! et tout passa dans le ciel comme une vision.
1866, Ph. Aubert de Gaspé, Mémoires, p. 410-411.
[littérature]
– Maintenant, ajouta-t-il, veux-tu entendre la chasse-galerie? la nuit est noire; elle ne sera pas intimidée; le temps est calme, ses voix en seront plus nettes, plus retentissantes. – Va pour la chasse-galerie, répondis-je en riant. [/] Paul fit entendre un cri d'appel puissant. Dix échos le répétèrent avec un crescendo réellement terrifiant, et le dernier, courant vers le sud sur la crête des montagnes, se perdit en des sons de centaines de clochettes au timbre argentin. De ma vie je n'avais entendu pareils échos. [...] Il me fallut reconnaître qu'un homme seul et non prévenu pouvait être effrayé de ces voix mystérieuses que se renvoyaient les montagnes, au sein d'une nuit profonde, calme et partant pleine de mystères.
1897, A.-N. Montpetit, Les poissons d'eau douce du Canada, p. 342.
[études scientifiques]
Pour nos Acadiens du Nord, pensons un peu à la «Chasse-Galerie» qu'aujourd'hui l'on traite simplement d'«histoire de vieille femme». Ma grand'mère LeBlanc m'a raconté elle-même ce phénomène qui n'était pas un effet de son imagination; il avait toujours lieu un peu après le coucher du soleil. «On entendait d'abord un bruit sourd et indistinct comme l'espace. Le bruit augmentait et finissait par produire l'effet de voitures roulant sur le pavé; on entendait même des sons de clochettes et de grelots, des voix d'hommes et de femmes. On pensait que les habitants qui voyageaient ainsi dans les airs étaient des autres planètes.»
1936, M. Michaud, «Le Folk-Lore acadien» dans Le Terroir, oct., p. 8.
[études scientifiques]
Ah oui. Ils nous faisaient peur avec ça, les chasse-galeries. [...] Pis là [...] ils disaient que c'était le diable qui s'en venait avec toutes ses chaînes pis le monde qu'était avec lui. Ils nous faisaient une peur noire avec ça. La chasse-galerie, j'ai pas vu ça, mais j'entendais conter ça par exemple.
1966, Saint-Malachie (Dorchester), AF, P. Jacob et M. Thibault 8.
[enquêtes]

Origine

Maintien d'un lexème, d'un syntagme, d'une expression (avec son sens) parlers régionaux de France

Historique

Le mot chasse-galerie est un apport des parlers de l'Anjou, du Poitou et de la Saintonge où il est connu sous cette forme ou des variantes voisines comme chasse Gallery, chasse-galerit, chasse-galerite (v. FEW *captiare 2-1, 320a; CormMauges; RézOuest-1-2; TravPoit 136-138; FavrPoit, s.v. chasgalerie; MussSaint, s.v. chasse galeri; DoussTrav 457-458; relevé en outre dans TLF et Robert 2001). Le mot n'est attesté en France que depuis 1829 (peut-être depuis 1791, v. RézOuest-1), mais il est certainement arrivé au Canada dès le XVIIe siècle puisqu'il est bien implanté au Québec et en Acadie. Chasse-galerie est formé de deux éléments dont le premier, chasse, paraît employé avec sa valeur collective, «désignant les chasseurs, chiens et équipage de la chasse» (sens attesté depuis 1690 en français, v. FEW *captiare 2-1, 320a). Le second élément pose problème et a été interprété de diverses façons. On a notamment cru y voir dans le Poitou le nom d'un certain Gallery, seigneur impie qui aurait été condamné à chasser pour l'éternité dans le ciel parce qu'il avait chassé le dimanche pendant la messe. Cette hypothèse était confortée par le fait que, parmi les divers noms donnés aux chasses volantes, certains comportent comme second élément le nom d'un personnage historique (par ex. chasse Arthur, chasse Saint-Hubert, chasse Saint-Eustache); il s'agit de toute évidence ici d'une étymologie populaire. Galerie se rattacherait plutôt aux mots galier et gaille, connus autrefois en français ou dans des patois et qui signifient «cheval». Cette explication est d'autant plus plausible que l'on retrouve dans les régions de France des appellations comme chasse-galière et chasse-gallère, où l'on reconnaît le même mot, ou chasse-galopine qui évoque le cheval (v. L. Sainéan, «La Mesnie hellequin», dans Revue des traditions populaires, t. 20, no 5, 1905, p. 177-186; RézOuest-1; Robert 2001). – Depuis 1833, dans une énumération sous la plume d'un Français citant un informateur canadien : Nos souvenirs populaires, nos contes de vieilles, nos chansons, nos proverbes, nos superstitions, tout en nous est normand ou breton, m'écrit un homme politique du Bas-Canada. Les contes [...] les chansons [...] les histoires des Fifollets, de la Chasse Galerie, du Lutin qui fait trotter les chevaux, etc.; ces contes, ces fadaises-là me font plaisir à entendre. (I. Lebrun, Tableau statistique et politique des deux Canadas, p. 267). Le sens donné au mot dans les exemples relevés au Québec correspond à ceux qu'on relève dans les parlers angevins, poitevins et saintongeais, soit «troupe infernale (damnés, diables, sorciers, etc.) supposée parcourir les airs durant la nuit» (RézOuest-2), «grand vacarme nocturne dans les airs, fait de hurlements, d'aboiements, de sifflements et de battements d'ailes» (DoussTrav 457), ou encore «chasse fantastique menée de nuit par des cavaliers galopant dans les airs» (MinVienne-2). Ce sens du mot est le seul à être noté au XXe siècle dans Dionne, GPFC et Bélisle-1-3 («ronde nocturne des sorciers ou des loups-garous»); pourtant, Clapin relevait déjà le sens 03. en 1894. Cet état de fait peut révéler que la version européenne de la légende était la mieux implantée dans la région de Québec, où ont été réalisés ces dictionnaires, ce qui confirmerait ce qu'écrit Fréchette en 1894 (v. Encyclopédie, point 3).

Étymon du FEW

*captiare

Données encyclopédiques

1. Une légende héritée de France. Une version de la légende de la chasse-galerie a été apportée au Canada par des immigrants français originaires de l'Anjou, du Poitou et de la Saintonge où elle est connue sous le même nom. Cette légende découle d'une croyance populaire selon laquelle on pouvait entendre, pendant la nuit, un vacarme provoqué par le passage dans les airs d'un cortège infernal (diables, damnés, animaux fantastiques). Elle met en cause à l'occasion un seigneur nommé Gallery qui aurait été condamné à chasser éternellement dans le ciel, accompagné d'une troupe de cavaliers et de sa meute de chiens, pour s'être adonné à cette activité pendant la messe du dimanche, d'où la variante chasse Gallery qu'on rencontre notamment dans le Poitou. Cette chevauchée fantastique se rattache à une tradition représentée dans toute la France sous diverses appellations : chasse volante – le mot fait l'objet d'un article dans Trévoux 1771 – , chasse à rigaud, chasse galière, chasse galopine, chasse à Arthur, etc. On relève la même légende en Angleterre, en Allemagne et dans les autres zones d'influences celtiques et germaniques. 2. Un mythe païen récupéré par la tradition chrétienne. La croyance dans les chevauchées fantastiques dans le ciel serait issue d'un mythe ancien associé aux changements de saison. Selon l'ethnologue J. Du Berger, les Germains auraient entendu, lorsque le ciel est tumultueux, la chevauchée d'un dieu germanique, guide des hommes qui ont péri à la guerre. Cette croyance, réinterprétée par les chrétiens, serait à l'origine de la célèbre mesnie Hellequin, qui remonte au Moyen-Âge en France, où Hellequin personnifie le meneur des diables et des démons. La croyance serait devenue une légende illustrant la punition exemplaire infligée à un chrétien qui ne s'est pas soumis aux préceptes de l'Église. De nombreux folkloristes ont émis l'hypothèse que les grands vents d'automne ou la migration des oiseaux – par exemple les oies dont le cri ressemble à l'aboiement d'un chien – seraient à l'origine de cette légende qui fournissait une explication à des bruits inspirant la crainte. 3. Transformation de la légende au Canada. Dans la version qui est aujourd'hui la plus connue (sens 03.), la légende a perdu son caractère sinistre, se transformant en un récit d'une joyeuse expédition. Des aspects effrayants de cette légende sont cependant attestés dès l'époque de la Nouvelle-France. Évoquant les calamités ayant marqué l'année 1660-1661, dont un tremblement de terre dans la région de Montréal et la guerre contre les Iroquois, le père Lejeune fait état de croyances populaires associées à la chasse-galerie quand il parle des «voix lamentables, qui se sont fait entendre en l'air sur les Trois Rivieres» et des «Canots qui ont paru tout en feu, voltiger par le milieu des airs aux environs de Kebec». Le père Fr. X. de Charlevoix rappelle en 1744 ces signes qu'il attribue à l'imagination du peuple. Outre ces premières indications, on relève, dans la tradition orale des francophones du Québec, d'Acadie et d'ailleurs (Détroit, Missouri), de nombreux éléments hérités tels quels de France. Ainsi, dans de nombreuses versions de la légende, on fait référence à un cavalier armé suivi d'une meute de chiens, à un vacarme associé à des cris de chasseurs, à des aboiements de chiens, à des coups de fusil, à des bruits de galop, ou encore à des chrétiens morts en état de péché et qui sont condamnés à parcourir les airs (v. citations). En 1894, Louis Fréchette estimait que, «[d]ans le district de Québec, la chasse-galerie se rapproch[ait] plus de la légende française» (rappel de l'homme qui est allé à la chasse pendant la grand-messe du dimanche). C'est à partir des années 1870 qu'on commence à voir apparaître dans les textes canadiens de nouvelles interprétations de la légende qui vont finir par la transformer profondément. La principale d'entre elles, popularisée par H. Beaugrand en 1891, a pris naissance dans les chantiers forestiers et la trame principale en était déjà bien établie depuis longtemps, semble-t-il (v. le passage 1875 de L'Opinion publique, cité sous le sens 03.). Le récit de Beaugrand a connu une grande diffusion et a été repris par divers auteurs, dont L. Fréchette. Il met en scène des bûcherons qui n'ont pas froid aux yeux, qui défient les interdits et font un pacte avec le diable auquel ils réussiront à échapper. La légende n'est pas totalement dépouillée de son caractère moralisateur puisqu'elle rappelle les interdits que doit respecter tout chrétien : l'alcool, la danse et les jurons. La transition du modèle original vers celui de Beaugrand s'est faite à travers de multiples versions intermédiaires où le moyen de transport n'est pas toujours le canot (il peut s'agir d'une simple bille de bois). Dans celle qu'édite J. Tremblay en 1920, dans le Journal of American Folk-Lore, les passagers du canot sont des loups-garous, donc des êtres maléfiques, alors que, dans celle dont témoigne O.-Ch. Pelletier en 1940, il s'agit de coureurs de bois morts en état de péché dont les témoins de la chasse-galerie peuvent atténuer le châtiment par leurs prières. Dans une autre encore, rapportée par É.-Z. Massicotte, le canot volant est suivi par une meute de cavaliers. Des folkloristes sont d'avis que la légende de la chasse-galerie a été réinterprétée parce que la chasse n'était pas interdite au Canada et qu'on n'y pratiquait pas cette activité en compagnie d'une meute de chiens. L'image du canot volant n'a pas de quoi surprendre dans le contexte canadien, surtout qu'on trouve dans les légendes européennes l'évocation de barques et de navires qui volent. 4. Une légende à valeur emblématique. La version originale de la légende de la chasse-galerie ne subsiste de nos jours que dans le souvenir de personnes âgées. Par contre, dans sa version moderne, la légende demeure très présente dans l'imaginaire québécois. Dans le domaine culturel, elle a fourni le thème de quelques chansons et de diverses œuvres en art visuel, dont de nombreuses illustrations de Henri Julien (1851-1908) qui sont encore bien connues. Elle a aussi inspiré le logo d'une bière québécoise et prêté son nom à un groupe de musique, à une maison de production, ainsi qu'à divers commerces. Des artistes associent la légende de la chasse-galerie à une certaine fierté nationale, par exemple le groupe La Bottine Souriante qui présente ainsi sa chanson: «Voici donc un fruit défendu : une chasse-galerie revue et corrigée encore plus près de nous tirée de notre identité québécoise bien prête à traverser le temps.» – H. Beaugrand, La chasse-galerie et autres récits, éd. par Fr. Ricard, 1989, p.7-95; La Bottine Souriante, disque compact La Mistrine, 1994; L. Bovet, «Le voyage fantastique, la chasse-galerie», dans Québec français, hiver 1996, p. 110-112; Fr. X. de Charlevoix, Histoire et description générale de la Nouvelle France, t. 1, 1744, p. 348; J. Du Berger, «Chasse-galerie et voyage», dans Studies in Canadian Literature, vol. 4, no. 2, 1979, p. 35-43; EncXXe, s.v. Hellequin; L. Fréchette, dans La Patrie, Montréal, 24 février 1894, p. 1; J. Grignon, «La chasse-galerie», dans Le Bulletin des recherches historiques, vol. 6, no 2, 1900, p. 51-53; N. Guilbault, Henri Julien et la tradition orale, 1980, p. 65-95; C. Jolicœur, «La Chasse-Galerie», dans Revue d'histoire et de traditions populaires de la Gaspésie, vol. 13, no 4, 1975, p. 209-210, vol. 14, no 1, 1976, p. 51-52, et vol. 14, no 4, 1976, p. 333-337; Larousse 1982, s.v. chasse; P. Lejeune, dans RJ 46, 1662, p. 202; C. Lépine, «La chassegalerie», dans L'Opinion publique, Montréal, 19 août 1875, p. 394; É.-Z. Massicotte, «Diverses sortes de chasse-galerie», dans Le Bulletin des recherches historiques, vol. 44, no 6, 1938, p. 163-166; G. Mercure et J. Tremblay, «Anecdotes de la Côte-Nord et de Portneuf», dans JAF 33/129, 1920, p. 263; O.-Ch. Pelletier, Mémoires, souvenirs de famille et récits, 1940, p. 139-140; Br. Purkhardt, La chasse-galerie, de la légende au mythe, 1992; M. Tremblay, Le cycle de la chasse-galerie, 1996.
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