Vedette

épinette (n. f.)
[epinɛt]
Parfois au masculin dans la langue populaire.

Définition

Conifère (genre Picea, fam. des pinacées) des régions froides et tempérées de l'hémisphère boréal, aux aiguilles rigides et pointues distribuées autour des rameaux, qui constitue une essence importante pour la production de pâte à papier et de bois de sciage. – Bois, écorce, rameau de ce conifère.
Forêt, bois d'épinettes. (Litt.) Bouquet, bosquet, massif d'épinettes, (fam.) talle d'épinettes. Têtes d'épinettes. Bois, bourgeons, branches, cocottes, racines d'épinette. Gomme d'épinette. Des épinettes sèches, rabougries, maigrichonnes, rachitiques. Épinette séchée. Planche, madrier d'épinette. Contreplaqué, (pop.) veneer d'épinette. Poutre d'épinette. Billot, bille d'épinette. Essence, huile essentielle, (vieux) esprit d'épinette.
[État des données: avancé]

Variante(s) graphique(s)

espinette (XVIIe s., usuel à l'époque), epinette (du XVIIe s. jusque dans la seconde moitié du XIXe s.); plus rarement, epinet et épinet

Variante(s) morphologique(s)

(par aphérèse) pinette (variante très rare, disparue, qui pourrait résulter d'un problème de notation)
Citation(s) Référence(s)
Il y a icy quantité de cèdres : ils nous servent de balais; force pins et sapins et espinettes qui sont verds l'hiver, nonobstant le froit; les autres arbres seichent comme en France.
1644, Marie de l'Incarnation, dans G. Oury (éd.), Correspondance, 1971, p. 225 (note en marge d'une lettre).
[archives et textes anciens]
La cause de ces accidens [les feux de forêt] si étranges pourroit bien provenir, de ce que les bois d'icy ne sont composez que de petits pins, de prusses, & d'épinettes, tous arbres onctueux, dont la séve, sortant dehors, les enduit d'une gomme gluante, & visqueuse, qui rend une forest entiere, aussi susceptible du feu, que seroit un Navire, par la poix & par le goudron dont il se defend contre l'eau.
1662, dans RJ 46, p. 278.
[archives et textes anciens]
Les grands sapins, les pruches, les épinettes avec leurs larges palmes vert sombre couvertes de blancs flocons, ressemblaient à ces vieux rois du nord que nous montrent les légendes scandinaves – vieux rois drapés dans leurs manteaux sombres garnis d'hermine, et couronnés de chevelures d'argent.
1884, P. LeMay, L'affaire Sougraine, p. 304.
[littérature]
L'épinette a bien d'autres ivresses à nous offrir. Si elle porte la musique dans la légèreté de son bois, elle la dispense également par les nombreuses espèces d'oiseaux qui vont nicher dans le réseau serré, sécuritaire, de ses peuplements touffus et qui parsèment la grande «pessière» nordique des chants les plus allègres.
1989, P. Morency, L'œil américain, p. 225-226.
[littérature]
(Pour la variante pinette). Il se trouve a Pentagouet des Pinette propres a faire des mâts de hune.
1698, doc. relatif à l'Acadie, d'après Mass no 152.
[archives et textes anciens]

Commentaires

1. Épinette est passé de la langue commune à celle des spécialistes, qui l'utilisent presque exclusivement à la place de épicéa, lequel est le mot usuel en France (où il est attesté depuis 1765). 2. Figure dans de nombreux noms de lacs et de cours d'eau du Québec (v. RTQ 1987).

Synonyme(s)

pruche; prusse; sapinette (mot qui a concurrencé épinette, au XVIIIe s., dans le parler de l'élite française de passage dans les colonies de la Nouvelle-France)

Origine

Maintien d'un lexème, d'un syntagme, d'une expression (avec son sens) français ancien et parlers régionaux de France

Historique

Ce n'est que tardivement au cours du XVIIe s. que les habitants de la colonie laurentienne nomment épinette les conifères des genres Picea (sens 01. à 22.) et Larix (sens 23. et 24.). Auparavant, ils ne semblent pas avoir attribué un nom particulier à ces arbres pour les distinguer de tous les autres conifères à aiguilles, de sorte qu'ils les incluent certainement dans des noms tels que sapin et pruche (ou prusse). L'apparition de épinette permet alors de structurer le système de classification populaire des conifères à aiguilles : sapin va s'appliquer spécifiquement à un conifère du genre Abies (et à un du genre Taxus en Acadie), pruche à un du genre Tsuga, épinette à ceux des genres Picea et Larix, pin et cyprès à ceux du genre Pinus. Depuis les années 1930, on s'est souvent questionné au Québec sur l'origine du mot épinette, sans en arriver à un consensus. Dans les dictionnaires européens, la question est posée depuis la seconde moitié du XIXe siècle et les explications proposées sont multiples (altération du mot sapinette, évoquée mais rejetée dans Larousse 1866; découle de pinette, forme non attestée mais qui résulterait de la féminisation d'un mot pinet, du moyen français, avec voyelle initiale ajoutée, d'après Gam-1-2; dérivé de pin avec ajout du suffixe -ette, d'après TLF; de pin, avec influence de épine, d'après Larousse 1982). À la lumière de l'ensemble de la documentation, il faut pourtant se rendre à l'évidence que le mot est arrivé tel quel de France où il pouvait s'appliquer autrefois à des réalités participant toutes du sens fondamental d'«épine»; il se serait étendu en Nouvelle-France aux conifères du genre Picea dont les feuilles sont en forme de petites aiguilles rigides et pointues (v. JunCompt 138-139). En effet, selon les époques et les lieux, épinette a servi à désigner en France tantôt de petites épines végétales, tantôt des arbustes épineux, tantôt encore des lieux encombrés d'épines. Au sens de «petite épine», le mot a été relevé en français du XIIIe s. jusqu'au XVe, tandis qu'au sens par extension d'«aiguille de conifère», il l'a été dans les parlers de l'Ouest; au sens de «buisson épineux», d'«aubépine» ou d'«épine-vinette», il a été relevé en français du XIIIe s. jusqu'au XVe, puis dans des parlers du Nord, du Nord-Ouest et de l'Ouest; au sens de «lieu encombré d'épines, de ronces, etc.», il a été relevé en Aunis et en Saintonge (v. FEW spìna 12, 177a et 178a; JorFlore 12; RollFlore 5, 144; LaurBor, s.v. espinette; MussSaint; PégFrance; LeMJers, s.v. êpinnette; ALO 332). Ce dernier emploi a peut-être été déterminant dans l'application de épinette à des conifères nord-américains parce qu'il est associé à Les Épinettes ou L'Épinette, noms de très nombreux lieux-dits de la France (notam. du Nord, du Nord-Ouest et de l'Ouest, v. MussSaint; v. aussi P. Joanne (dir.), Dictionnaire géographique et administratif de la France, t. 3, 1894, s.v. épinette; E. Nègre, Toponymie générale de la France, vol. 2, 1991, no 23042; A. Dauzat et Ch. Rostaing, Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, 2e éd., 1978, s.v. Épinal, qui précisent que ces noms s'appliquent à de nombreux hameaux dans toute la France). À ce sujet, le frère Marie-Victorin (dans Notes pour servir à l'histoire de nos connaissances sur les Abiétacées du Québec, 1926, p. 449), faisant un lien avec épinette «petite épine», relevé au figuré dans un poème de G. de Machault, écrit : «Quiconque a essayé de marcher dans la grande forêt d'Épinettes n'aura pas de difficulté à admettre cette signification.» Sous l'influence des voyageurs canadiens-français, épinette a pénétré dans des récits écrits en anglais (v. Craigie, Mathews, DictCan); on le rencontre en outre dans des variétés d'anglais oral aux États-Unis. – Depuis 1644 (Marie de l'Incarnation), date qui n'est toutefois pas certaine puisque le mot apparaît dans une note marginale dont on ignore si elle est de la main de l'auteure; de façon assurée, à partir de 1662, époque où le mot se répand et s'implante véritablement dans l'usage. La variante pinette est attestée de 1698 à 1716 (dans Mass no 152).

Étymon du FEW

spina

Français de référence

Remarque(s)
Voir Commentaires.

Données encyclopédiques

Élément important de la forêt boréale nord-américaine, l'épinette compte de nombreuses espèces qui produisent toutes un bois léger, tendre, flexible et assez fort pour se prêter à diverses utilisations. Dès l'époque coloniale, ce conifère fournit un matériau prisé dans la construction navale; les Français et les Anglais s'en servent pour la fabrication de mâts, de mâtereaux et d'espars et, en outre, ils en tirent des bordages et des pièces courbes faites avec la partie comprise entre la base du tronc et la racine. Parallèlement à cet usage, l'arbre constitue une source importante de bois entrant dans la construction de charpentes, de planchers, de ponts et de quais. Aujourd'hui encore, l'épinette vient au premier rang pour la production de bois de sciage parce qu'elle constitue un matériau très utilisé dans la construction résidentielle et la fabrication de contreplaqués, et qu'elle représente – depuis la fin du XIXe s. – une source importante de bois de pâte à papier à cause de la longueur de ses fibres et de sa faible teneur en résine. Par ailleurs, l'épinette a souvent été reconnue pour ses nombreuses propriétés médicinales (v. sens 21., Encyclopédie). En 1709, l'intendant A.-D. Raudot affirmait que l'on faisait une tisane propre à combattre le scorbut à partir des rameaux de l'épinette blanche (à l'époque, cette appellation était générique, n'étant pas encore réservée à l'espèce Picea glauca, comme c'est le cas aujourd'hui; v. Étymologie/Historique). C'est peut-être ce qui a amené Fr.-X. de Charlevoix à écrire que Jacques Cartier en avait utilisé les feuilles et l'écorce pour guérir son équipage atteint du scorbut lors de l'hiver 1535-1536. À sa suite, bon nombre d'historiens et de botanistes ont prétendu que l'épinette blanche (identifiée chez eux à l'espèce Picea glauca) était l'arbre appelé annedda, mais cette interprétation est erronée. – Frère Marie-Victorin, Les Gymnospermes du Québec, 1927, p. 13; id., Flore laurentienne, 1935, p. 6; J.-Chr. Langelier, Les arbres de commerce de la province de Québec, 1906, p. 37.
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