Vedette

coureur de bois (n. m.)
[kuʀœʀdəbwɑ]

Définition

Péjor., hist. En Nouvelle-France, hors-la-loi qui désertait les lieux de colonisation pour aller faire la contrebande des pelleteries avec les Amérindiens et qui adoptait le plus souvent leur mode de vie.
Ordonnance contre les coureurs de bois. Arrêter, punir les coureurs de bois. Amnistie accordée aux coureurs de bois.
[État des données: avancé]

Variante(s) phonétique(s)

[kuʀœʀdebwɑ]

Variante(s) graphique(s)

1. coureur-de-bois (parfois, de la fin du XIXe s. jusqu'au milieu du XXe. 2. coureur des bois (rare avant le milieu du XIXe s., de plus en plus courante à partir de cette époque, notamment dans la littérature).

Variante(s) polymorphique(s)

coureur (absol.)
Citation(s) Référence(s)
Et voyant la necessité q[ u'il ] y a d'apporter un prompt remede au mal que causent les coureurs des bois, dont nous avons appris q[ue] le nombre augmentoit tous les jours, et qui estoient soubztenus par quelques habitans qui ouvertement ou secretement leur vendent ou prestent des marchandises au moyen desquelles ils continuent leur commerce avec les Sauvages au prejudice de la tranquilité publique et de la generalité de la colonie [ ... ].
1672, le comte de Frontenac, ANQQ, Archives des colonies, Correspondance générale (Canada), vol. 3, fo 222.
[archives et textes anciens]
[ ... ] il y a de deux sortes de coureurs de bois. Les premiers vont a la source du castor dans les nations sauvages des Assinibouels[,] Nadoussieux, Miamis, Islinois, et autres, et ceux la ne peuvent faire leurs voiages qu'en deux ou trois ans. Les seconds qui ne sont pas en si grand nombre vont seulement au devant des Sauvages et des François qui descendent jusques au long Sault, la petite nation et quelques fois jusques a Michilimakinac afin de profiter seuls de leurs pelletries, pour lesquelles ils leur portent des marchandises et le plus souvent rien que de l'eaue de vie contre la deffence du Roy dont ils les enyvrent et les ruisnent, ceux la peuvent faire leurs voiages a peu pres dans le temps qui vous a esté marqué [6 mois] [ ... ]. Il n'est pas facille de prendre les uns et les autres [ ... ].
1681, J. Duchesneau, ANQQ, Archives des colonies, Correspondance générale (Canada), vol. 5, fos 296-297.
[archives et textes anciens]
Ils avoient dans leur canot d'écorce environ 300 [livres] de castor qui ont esté saisis et confisqués. Ces voyageurs ont esté conduits a Montréal ou ils furent mis en prison : Sur le soupçon que ces hommes etoient des coureurs de bois leur proces a esté instruit a Montreal [ ... ].
1736, les sieurs de Beauharnois et Hocquart, dans L. Lamontagne (ed.), Royal Fort Frontenac, 1958, p. 420.
[archives et textes anciens]
Aiant été de plus informé que nombre de voiageurs qui montent dans les Païs d'en haut y fixent, sans notre permission, leur demeure soit pour commercer furtivement d'un poste à l'autre et soit encore pour libertinage avec les Sauvagesses et voulant remedier à un abus aussi préjudiciable au bien de la colonie à tous égards; ordonnons au s[ieur]... de nous renvoier ceux qui dans l'étenduë de son poste ne seront pas reconnus domiciliés à... [ Michilimakinac ] et qui sont réputés coureurs de bois.
1755, A. Duquesne, ANQQ, Archives des colonies, Correspondance générale (Canada), vol. 100, fo 42.
[archives et textes anciens]
D'un autre point de vue, l'accaparement de la traite par les coureurs de bois provoquait le gaspillage d'une importante partie des revenus de la traite en dépenses inutiles [ ... ].
1960, J. Hamelin, Économie et société en Nouvelle-France, p. 57.
[études scientifiques]

Synonyme(s)

Souvent associé aux mots libertin, vagabond et volontaire dans les documents d'époque.

Origine

Innovation lexématique, syntagmatique, phraséologique français de référence

Historique

Mot associé à l'histoire de la Nouvelle-France, qui figure pour la première fois dans les dictionnaires français chez Fur 1727 («Terme de Relations. On appelle coureurs de bois dans le Canada, des gens qui vont porter les marchandises dans le fond du païs, pour trafiquer avec les Sauvages»). Le mot apparaît par la suite chez Richelet 1732, Trévoux 1752 et Enc qui en rendent compte dans des définitions originales correspondant grosso modo à la première partie du sens 04, donc sans connotations négatives (Enc et, plus tard, Larousse 1866 le présentent d'ailleurs comme un terme de commerce). Coureur de bois est la seule forme enregistrée dans les dictionnaires de France jusqu'à Larousse 1928 qui ne relève le mot que sous sa variante coureur des bois. Le sens moderne du mot (sens 07.) est évoqué dans les dictionnaires Robert (depuis 1953 : On appelait les trappeurs du Canada les Coureurs de bois) où l'on néglige par contre les emplois à valeur historique qui demeurent les plus importants (v. encore PRobert 1993 : «Au Canada, coureur de (des) bois : chasseur et trappeur»). Le mot a pénétré en anglais dès 1700 en parlant de Canadiens français (Severall of the French Coureurs de bois or hunters are there at this time, cité d'après OEDSuppl 1972) et, bien qu'il ait été utilisé depuis cette époque en anglais, il demeure perçu comme un mot français (v. sur ce point DictCan et Random 1983). Le mot a donné lieu au calque wood(s)-runner, attesté depuis 1716 (v. DictCan; v. aussi Mathews, s.v. wood, dont l'exemple de 1743 traduit la perception que les Anglais de l'époque ont eue de cet aventurier : No Europeans could undergo such Hardships as those French that intercept the English Trade, who are inur'd to it, and are called by us Wood-runners, or Coureurs de Bois). Coureur de bois est généralement présenté dans les dictionnaires anglais sous une définition large qui rend compte surtout des emplois modernes du mot («woodsman», «hunter», «trader», « boatman», «trapper», v. Craigie, Mathews, OEDSuppl 1972, Random 1983 et Webster 1986); celle de DictCan correspond au sens 01. («an unlicensed trader who ranged the forest in search of furs»). – Depuis 1672 (coureur des bois, v. ex. cité; aussi, la même année, coureur de bois, dans une autre lettre de Frontenac, v. ANQQ, Archives des colonies, Correspondance générale (Canada), vol. 3, fo 260). Découle de l'expression courir les bois (variante courir dans les bois), attestée au Canada depuis 1616, surtout en parlant des Amérindiens (l'emploi transitif de courir «parcourir, sillonner» est relevé en français depuis le début du XIIIe s., v. TLF). Il est probable que coureur de(s) bois s'est dit d'abord en parlant des Amérindiens, pour souligner leur mode de vie, comme le suggère le passage tiré de l'Histoire naturelle de Louis Nicolas (1685 environ), avant de s'appliquer aux Français qui les imitaient et d'être associé à ceux qui faisaient la contrebande des pelleteries avec les Amérindiens. Le mot tient manifestement ses connotations négatives également de l'emploi de coureur au sens de «débauché» (attesté en français depuis 1566, d'après TLF) et au sens de «libertin, vagabond» (attesté à l'époque de la Nouvelle-France, v. Trévoux 1704-1752, et, plus récemment, dans différents parlers du Nord, du Centre et de l'Ouest de la France, notamment sous la forme coureux, v. FEW cu+rre+re 2, 1570b), ce que suggèrent les premières attestations du mot et les appellations libertin, vagabond et volontaire par lesquelles les autorités ont aussi désigné le coureur de bois.

Étymon du FEW

currere

Bilan métalinguistique

Le mot figure parmi les «canadianismes de bon aloi» (v. OLFCan), illustré par des exemples à valeur définitoire qui se rapportent à divers emplois du mot.

Français de référence

Réalité propre
Emploi qui réfère à une réalité propre au pays ou à la région de la variété de français, ou qui en provient.

Données encyclopédiques

1. Les débuts de la traite. Au début de la colonie laurentienne, ce sont les Amérindiens qui viennent porter leurs pelleteries directement aux comptoirs de traite des Français (Tadoussac, Québec, etc.) entretenus par les compagnies qui bénéficient d'un monopole accordé par le roi. À mesure que la colonisation prend de l'importance, les autochtones peuvent aussi, en règle générale, traiter avec les Français fixés au pays, à condition que ces derniers revendent les pelleteries aux magasins des détenteurs du monopole qui, seuls, ont le droit de les exporter en France. Ces échanges surviennent notamment lors des foires de fourrures qui se tiennent à Trois-Rivières et à Montréal. À ces occasions, les habitants et les marchands font des avances de marchandises aux Amérindiens que ces derniers reviennent payer l'année suivante. Les différentes nations amérindiennes sont incitées à venir commercer dans la colonie laurentienne par de jeunes Français que les autorités ont placés chez elles pour servir d'interprètes (ou truchements) et d'agents de liaison (par ex. Étienne Brûlé, Jean Nicolet). Plusieurs d'entre eux adoptent largement le mode de vie des nations qui les hébergent. Toutefois il ne semble pas que ces hommes aient été qualifiés de coureurs de bois avant le XIXe s. (sous la plume d'historiens). 2. Des Français comme intermédiaires. À la suite de la destruction de la Huronie (1648-1652), les Français perdent leurs principaux intermédiaires avec les nations de l'Ouest qui fournissent les pelleteries. Une fois la paix conclue avec les Iroquois (1653), commence le phénomène des voyages de traite au cours desquels des Français vont chercher eux-mêmes les pelleteries directement chez les nations amérindiennes de l'Ouest pour les revendre à leur compte dans la colonie; dès 1654, un congé, ou permission des autorités, est nécessaire pour se livrer à cette activité qui, dès 1656, est interrompue par une nouvelle guerre iroquoise. Coureur de bois n'est pas attesté à cette époque. En 1663, la Nouvelle-France passe sous administration royale. L'année suivante, le monopole du commerce des fourrures est concédé à la Compagnie des Indes occidentales. La route vers l'intérieur devenant plus sûre après la fin de la guerre iroquoise en 1667, les voyages de traite sont plus fréquents, notamment pour des raisons d'ordre économique; concurremment, la traite de boissons enivrantes, interdite depuis l'époque de Champlain, prend de l'ampleur. L'anarchie s'installe et on commence à se plaindre de ceux qui quittent les habitations pour aller faire la traite en territoire amérindien, majoritairement des fils d'habitants. Les autorités réitèrent (en 1669 et en 1672) l'obligation d'obtenir un congé avant de partir pour la traite. Les contrevenants, qu'on qualifie de vagabonds et de libertins et qu'on associe pour un temps aux volontaires avant de leur attribuer l'appellation explicite de coureur de bois (à partir de 1672), risquent la mise à l'amende, la confiscation des pelleteries et des marchandises, les galères et même la peine de mort. Ces mesures ont peu d'effets. 3. Un indésirable. Les raisons pour décrier le coureur de bois sont nombreuses et diffèrent selon les groupes sociaux. Pour les habitants et les marchands qui ne s'associent pas à lui, il pratique une concurrence déloyale puisqu'il intercepte les Amérindiens et leurs pelleteries en amont de Montréal. Ce faisant, il nuit aux foires de fourrures et empêche plusieurs habitants et marchands de recouvrer leurs créances. Pour les missionnaires, il est une menace à l'évangélisation et au bien-être des Amérindiens car il leur fournit des boissons alcoolisées; par son libertinage et son goût du gain, il leur donne une mauvaise opinion des Français; il les empêche aussi de venir recevoir la religion auprès des habitations. Pour les administrateurs, qui partagent également l'opinion des groupes précédents, il représente l'indiscipline, l'ensauvagement des Français (jugement que traduit bien le mot coureur de bois puisqu'avant l'avènement des voyages de traite, les expressions courir les bois et courir dans les bois sont surtout attestées en parlant des Amérindiens) et le retard du défrichement des terres; il est un intervenant incontrôlable dans les relations franco-amérindiennes, un contrebandier qui détourne une partie importante des pelleteries vers les colonies anglaises, où il achète aussi des marchandises, et il entraîne une baisse importante des revenus du gouvernement par le non-paiement des droits sur les castors et les orignaux. Paradoxalement, le coureur de bois compte plusieurs complices dans toutes les classes de la société : habitants, marchands et membres du gouvernement s'associent à lui pour profiter de son commerce lucratif. 4. Le système des congés. À partir de 1681, le gouvernement instaure un nouveau système de congés de traite qui légalise et tente de contrôler la course des bois. Un certain nombre de coureurs régularisent leur situation soit en obtenant un congé (souvent en l'achetant de particuliers peu fortunés qui l'avaient reçu gracieusement des autorités), soit en s'associant à des marchands qui en ont obtenu un ou à des commandants de postes dans les pays d'en haut. Ils commencent alors à être désignés par le nom de voyageurs. Ce titre, donné d'abord aux coureurs expérimentés qui font de la traite en territoire autochtone leur principale occupation, est par la suite appliqué également aux hommes de service, couramment appelés engagés, appellation qui insiste sur leur statut par rapport à leur employeur (détenteur du congé ou du privilège de la traite) qui les engage comme hommes de peine et qui leur interdit, sauf exception, la traite à leur compte. L'expérience que le coureur de bois acquiert de la vie en forêt le rendant utile dans les expéditions guerrières, les autorités sollicitent ses services, notamment à l'occasion de la guerre iroquoise (1682-1701) et de celles contre la nation algonquienne des Renards (1712-1716, 1728-1734); le mot désigne ainsi un combattant rompu à la «petite guerre» (voir sens 03.). Il arrive que ses réalisations et son mode de vie suscitent même une certaine admiration (Lahontan). Toutes ces raisons font en sorte que la connotation péjorative associée à coureur de bois s'atténue quelque peu et que le mot acquiert le sens d'«aventurier» de la traite des pelleteries, surtout dans les écrits de ceux qui n'appartiennent pas au gouvernement (voir sens 04.). Néanmoins, la situation légale du coureur de bois est instable; ainsi, plusieurs préfèrent demeurer parmi les Amérindiens et refusent de rentrer dans la colonie au terme de leur contrat (si contrat il y a eu) et sont considérés comme déserteurs, ce qui arrive notamment pendant les périodes où le système des congés est aboli (de 1696 à 1716, puis de 1719 à 1728). Le coureur de bois peut perdre son statut illégal au gré des amnisties accordées par le roi (1681, 1703, 1714 et 1716). Il peut être néanmoins perçu comme hors-la-loi s'il fait du commerce hors des limites du poste prescrit dans son congé, s'il s'aventure dans certains territoires de traite réservés ou s'il enfreint certaines règles de conduite. 5. Une appellation longtemps marquée. Le personnage, tout comme son nom, conserve donc une certaine ambiguïté, et, tout au long du Régime français, les autorités continuent à désigner ainsi ceux qui enfreignent les règles de la traite en territoire amérindien. C'est ce qui explique que le nom de voyageur, qui est au départ plus neutre, devient en vogue et est préféré par ceux qui font de la traite des pelleteries en territoire amérindien leur véritable métier et qui veulent être bien perçus; dans les actes notariés le concernant (contrats de société, obligations auprès de marchands, contrats d'engagement, contrats de mariage, etc.), jamais un professionnel de la traite des fourrures ne se donne le titre de coureur de bois. Il faudra attendre le milieu du XIXe s. pour que cette appellation prenne des connotations nettement mélioratives, à travers la vision mythique que donneront du coureur de bois les historiens et les romanciers. – L. Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, 1974, p. 171-180; G. Lanctot, Histoire du Canada, 1959-1964, vol. 3; M. Trudel, Initiation à la Nouvelle-France, 1968, p. 207-211; M. Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, vol. 3, t. 1, 1979, p. 223-224, et t. 2, 1983, p. 298-306.
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