Vedette

truite (n. f.)
[tʀɥɪt]

Définition

Nom commun de l'omble (genre Salvelinus), poisson salmonidé voisin de la truite véritable (genre Salmo), aux taches pâles sur fond sombre, qui vit dans les eaux froides de l'hémisphère nord et qui est très recherché par les pêcheurs sportifs.
Lac, rivière, ruisseau à truites. De la belle, de la petite, de la grosse truite. Truite de douze, de seize pouces. Truite d'une livre, de deux livres. Truite indigène, sauvage. Truite d'élevage, ensemencée. Truite fumée, dont on a fumé la chair. Truite d'hiver, que l'on pêche sous la glace. Un filet de truite. Attraper, ferrer une truite. Pêcher, taquiner la truite.
[État des données: avancé]

Variante(s) graphique(s)

truytte (XVIe s.), truitte (XVIIe et XVIIIe s.)
Citation(s) Référence(s)
Des truites communes. Ces truites ont la même figure que les nôtres [c.-à-d. celles de France]: mais elles n'en ont pas le goût n'y la couleur interieure, ny exterieure, leur chair est rouge presque comme celle du saumon [...]. pour la peau on ne peut rien voir de plus beau ny de mieux martelé de rouge de jaune de gris de blanc, et de violet: on n'en voit guere de fort grosses.
1685 env., L. Nicolas, «Histoire naturelle», ANC, ms. 24225, fo 183 (truites communes réfère ici aux ombles de fontaine).
[archives et textes anciens]
Une partie de la surface du bassin était en pleine lumière, l'autre partie réfléchissait dans le calme de ses eaux, en les renversant, les arbres de la rive, avec les nuages et le ciel bleu creusés en abîmes insondables. [...] Des truites or et pourpre s'élançaient de l'eau comme un trait pour happer des mouches imprudentes; les canards barbottaient [sic], et les oies faisaient entendre au loin leurs trompettes éclatantes.
1876, A.-N. Montpetit, «Neuf jours chez un trappeur», dans L'Opinion publique, Montréal, 13 juillet, p. 330.
[littérature]
Que de bassesses le vrai pêcheur ne commettrait-il pas pour découvrir, puis explorer un bon ruisseau à truites? Toutes! [...] Il rampera dans les herbes et les taillis, fera un trou dans les buissons pour passer sa ligne, bravant héroïquement des nuages de mouches noires et de maringouins, sous la pluie battante ou sous un soleil de plomb, dans l'eau glacée jusqu'à la ceinture et dans les rochers escarpés! Rien ne l'arrêtera car il connaît la plus haute satisfaction à laquelle un pêcheur puisse aspirer : sentir au bout de sa canne le glorieux combat dont la mouchetée a le secret!
1972, S. Deyglun, La pêche sportive au Québec, p. 53.
[études scientifiques]

Origine

Innovation sémantique français de référence

Historique

Depuis 1538 environ (J. Cartier, dans M. Bideaux (éd.), Relations, 1986, p. 167 : Passé ledict Canada y a force brochetz truyttes carpes branmes [= brèmes] et aultres poissons d'eaue doulce). Découle, par extension, du sens de «poisson salmonidé (Salmo trutta) voisin du saumon, indigène d'Europe et d'Asie» qu'a le mot truite en France depuis la seconde moitié du XIIe s. (v. FEW tructa 13-2, 325a). En Nouvelle-France, truite s'est imposé sans concurrence dans la langue commune, le mot omble étant inconnu des premiers colons français puisqu'il était alors peu répandu en France (voir Encyclopédie, point 2).

Étymon du FEW

tructa

Français de référence

Remarque(s)
En France, truite s'applique à la truite véritable que l'on connaît au Québec sous le nom de truite brune.

Données encyclopédiques

1. Les salmonidés. Selon la systématique moderne, la famille des salmonidés regroupe de nombreuses espèces de poissons qui abondent dans tout l'hémisphère nord et dont l'importance économique est considérable. Dans cette famille, on compte les saumons et les truites (genre Salmo) ainsi que les ombles (genre Salvelinus), poissons étroitement apparentés dont les espèces se présentent dans la nature sous de nombreuses formes naturelles variant notamment par la couleur et la taille. Ces poissons comprennent des populations qui vivent en eau salée ou saumâtre et qui remontent frayer en eau douce, d'autres qui vivent en permanence dans les eaux douces des lacs, des rivières et des ruisseaux. 2. Les truites et les ombles. À l'époque de la Nouvelle-France, les Français ne purent observer, dans les eaux du nord-est de l'Amérique du Nord, que le saumon et l'omble, la truite véritable n'y ayant été introduite d'Europe que dans les années 1880. Tout naturellement, ils continuèrent d'appeler saumon le saumon atlantique (Salmo salar) que l'on rencontre de part et d'autre des côtes de l'Atlantique, mais ils nommèrent truites toutes les espèces de l'omble dont ils ne pouvaient savoir qu'elles appartenaient à un genre différent de la truite véritable (Salmo trutta), d'autant qu'ils ne disposaient pas encore d'un système descriptif rationnel et universel des êtres vivants comme celui qu'élaborera le Suédois Carl von Linné au milieu du XVIIIe s. Et encore, le célèbre naturaliste classera lui-même les ombles dans le genre Salmo, le même que celui du saumon atlantique et de la truite véritable. Ce sont ses successeurs qui les reclasseront dans le genre des Salvelinus, différenciant alors les Salmo des Salvelinus d'après une caractéristique de l'anatomie interne, celle de l'os antérieur de la voûte buccale appelé vomer : chez les premiers, le vomer est plat et il comporte deux rangées de dents allant vers l'arrière, tandis que, chez les seconds, il est en forme d'étrave et il ne comporte des dents que sur la partie antérieure (appelée tête) et non sur la postérieure (appelée lame). C'est au cours du XIXe s. que les naturalistes français vont recourir au mot omble pour nommer les espèces du genre Salvelinus. Mot d'origine franco-provençale, il était déjà bien connu dans les parlers de la Suisse romande où il servait à désigner l'omble chevalier (Salvelinus alpinus), espèce abondante dans les lacs et rivières de ce pays montagneux mais qui est également présente dans les eaux froides de l'Amérique du Nord. Quant à omble de fontaine, qui dénomme le salmonidé indigène du nord-est de l'Amérique du Nord (introduit en Europe en 1879, d'après TLF), il traduit le nom scientifique Salmo fontinalis (aujourd'hui Salvelinus fontinalis) attribué à l'espèce en 1815 par l'Américain S.L. Mitchill. 3. Les appellations populaires des ombles. La coloration et la taille des ombles sont très variables, ce qui s'explique par le jeu de facteurs tels que l'habitat, la nourriture et l'âge. Tout adepte de la pêche sportive est susceptible d'observer ce phénomène, sans toujours pouvoir se l'expliquer de façon aussi nette que l'ingénieur forestier Paul Provencher : «Il m'est parfois arrivé de penser que, dans un même lac, cohabitaient deux sortes de truites, à en juger par la couleur différente de leur chair – blanche ou rose – de même que par celle de leur peau. J'avais tort de penser cela, parce que ces différences proviennent, en réalité, de leurs changements de nourriture ou tout simplement, du fait que les fonds où elles vivent sont vaseux ou pierreux.» Ce sont pourtant de telles observations qui sont à l'origine des appellations populaires. Ainsi, tous les pêcheurs sportifs du Québec connaissent l'omble de fontaine sous le nom de truite mouchetée, lequel s'oppose à truite grise et à truite rouge (du Québec). Cependant, ils lui attribuent aussi d'autres noms qui sont fondés tantôt sur les couleurs observables de la livrée ou de la chair du poisson (d'où truite blanche, truite bleue, truite rouge et truite saumonée), tantôt sur son habitat (d'où truite de lac, truite de mer, truite de rivière et truite de ruisseau). Ces appellations de la langue commune sont porteuses d'une représentation du monde intégrant à la fois – d'une façon plus ou moins consciente – les espèces de l'omble et les diverses formes naturelles de ces espèces, ce qui explique que l'on puisse entendre nommer un même poisson de plusieurs façons. En outre, elles servent de véhicule aux connaissances acquises par l'observation et l'expérience sur les êtres ainsi nommés, comme en témoigne ce commentaire d'un pêcheur sportif accompli, Michel Chamberland : «Pêcher la petite truite de ruisseau, ça c'est de la vraie pêche! Il suffit d'avoir fait cette pêche, au moins une fois, pour en comprendre toute la beauté. Ce damné petit poisson, vif d'allure et habitué à lutter contre le courant, se débat comme un diable dans de l'eau bénite lorsqu'il est piqué. Il donne alors l'impression d'être beaucoup plus gros qu'il ne l'est en réalité.» Ainsi, pour bon nombre de pêcheurs, la truite dite «de ruisseau» n'est donc pas seulement une petite truite mouchetée qui vit dans les ruisseaux, mais elle est aussi un poisson plus combatif que la truite dite «de lac». 4. Les appellations savantes des ombles. C'est à partir des années 1930 que les spécialistes de la faune ichtyologique du Québec intégrèrent la distinction établie antérieurement par les systématiciens entre la truite et l'omble d'après des particularités du vomer (v. ci-dessus, point 2) et qu'ils adoptèrent par le fait même les termes appropriés dans leurs écrits. À cette époque, le naturaliste Claude Mélançon émettait déjà des doutes quant au succès de l'implantation du terme omble auprès des non-spécialistes : «Les systématiciens convaincront difficilement nos pêcheurs qu'il n'y a pas de truites indigènes dans Québec, que le poisson appelé 'Truite' ici est une Omble. Ils auront beau affirmer que cette dernière est le chef-d'œuvre des Salmonidés, multiplier les preuves anatomiques, par exemple la différence du vomer chez les deux groupes, on s'en tiendra longtemps aux apparences extérieures et à la nomenclature d'usage.» Vers le milieu du XXe s., certains scientifiques de renom semblent même avoir envisagé la possibilité d'introduire une nomenclature spécialisée proprement canadienne des espèces de l'omble puisqu'ils recouraient alors dans leurs écrits à des spécifiques tels que omble moucheté (pour le Salvelinus fontinalis), omble gris (pour le Salvelinus namaycush), omble arctique (pour le Salvelinus alpinus) et omble rouge du Québec (pour ce qu'on considérait alors comme la sous-espèce Salvelinus alpinus marstoni). Toutefois, cette tentative eut peu d'écho et ce sont finalement les termes français omble de fontaine (pour le Salvelinus fontinalis), omble chevalier (pour le Salvelinus alpinus) ainsi que le mot canadien touladi (pour le Salvelinus namaycush) qui se sont imposés comme noms d'espèces et qui ont fini par être normalisés (v. les remarques sous 02., 03. et 04.). Même si, à partir des années 1970, ces termes officiels se sont souvent retrouvés sous la plume des chroniqueurs de pêche sportive dans des publications destinées aux non-spécialistes, ils n'ont jamais réussi à déloger les noms communs, lesquels restent d'ailleurs encore d'emploi courant. Cet état de fait n'a cependant pas empêché, en 1999, le bannissement des noms communs des publications gouvernementales destinées aux pêcheurs sportifs. – A.-A. Bellemare, dans Le Soleil, 25 avril 1999, p. C1; L. Bernatchez et M. Giroux, Guide des poissons d'eau douce du Québec, 1991, p. 41 et 61; M. Bertrand et al., Les poissons d'eau douce du Québec, 1971, p. 32-34; A. Buies, Récits de voyages, 1890, p. 158; M. Chamberland, La pêche au Québec, 1966, p. 214-215 et 239; Faune du Québec, no 6, 1974, p. 3; V. Legendre et J. Rousseau, «La distribution de quelques-uns de nos poissons dans le Québec arctique», dans Annales de l'ACFAS, vol. 15, 1949, p. 133-135; Cl. Mélançon, Les poissons de nos eaux, 1936, p. 69 et 71; A.-N. Montpetit, Les poissons d'eau douce du Canada, 1897, p. 352-354; PPQ 1410C; P. Provencher, Mes observations sur les poissons, 1976, p. 50; W.B. Scott et E.J. Crossman, Poissons d'eau douce du Canada, 1974, p. 148 (pour la distinction entre les poissons des genres Salmo et Salvelinus) et 230.
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